Nous grimpons dans le bus quasiment plein. Je me retrouve aux côtés d'un gros Chinois qui me fait immédiatement ressentir son antipathie. Pourquoi ? J'ai l'habitude d'un contact amical avec les gens, alors je suis surprise et attristée. Pas grave : il s'agit juste d'un changement d'hôtel, après-tout ? Du moins, je l'espère, car je commense à avoir de sérieux doutes...
...Qui vont se confirmer lorsqu'une jeune Chinoise nous rejoint, s'installe à l'avant sur un petit strapontin et saisit un micro pour nous adresser la parole. Les portes se ferment, notre car démarre. La jeune guide nous explique toutes sortes de choses en Chinois. Bien sûr, je n'y comprends rien. On me réclame, comme aux autres, 300 yuans.
Mes doutes se confirment. : nous sommes bien dans un voyage organisé. Je me rappelle vaguement les dernières paroles de Négué, hier soir : " 2 jours... 800 km "...
Où suis-je ? où vais-je ? Pendant 2 jours je vais me faire trimballer comme un bébé, sans avoir aucune idée du futur, sans pouvoir déchiffrer les noms en Chinois des sites que nous allons traverser...
Je ne peux même pas m'adresser aux parents d'Aï Lin, loin de moi, au fond du car, qui ne comprennent pas l'Anglais de toutes façons. Je ne suis entourée que de chinoix purs et durs...et pas bilingues !
Je n'ai plus qu'une chose à faire : me remplir les yeux et la mémoire de ces paysages fabuleux.
Le périple serait merveilleux si ce n'était ce Chinoix antipathique à mes côtés. Je suis assise sur le bord de l'allée centrale : je ne pourrai pas faire les belles photos dont j'ai la passion car ce "mafieux" à lunettes noires tire le rideau de sa fenêtre pour dormir. D'ailleurs, tout le monde tire les rideaux alors que le soleil n'est qu'intermittant. Les chinoix ont terriblement peur de bronzer. On se croirait dans une tente de Bédouins ! Que viennent-ils faire au Tibet si ces panoramas grandioses ne les interressent pas ? Est-ce simplement pour le plaisir d'envahir cette province qui ne rêve que de retrouver son indépendance ?
Soudain, sans aucune raison apparente, notre chauffeur freine et s'arrête sur le bord de la chaussée.
Si. La raison est là : un contrôle d'identité comme il y en aura très souvent tout au long de ce périple.
Et là : HORREUR ! Je réalise que je n'ai pas mon passeport ! Ni passeport, ni l'indispensable Permis d'entrée au Tibet qui se trouvait à l'intérieur. Ce fameux permis qui m'a coûté plus cher que le billet Pékin - Lhassa !
Lorsque le policier grimpe les 2 marches du bus, je me recroqueville sur moi-même, remplie d'angoisse.
J'ai le sentiment que mon tour du monde va se terminer -ou commencer, soyons optimistes ! - en prison ! Les Chinois ne badinent pas avec cette lucrative histoire de permis d'entrée et encore moins avec les voyageurs sans papiers. Mon voisin va être content : je ne vais pas faire long feu à ses côtés !
Mais non : comme ce bus est sensé n'être occupé que par des Chinois, je vais peut-être été sauvée par mon apparence : je suis brune, avec une petite silhouette qui se confond aisément avec les femmes chinoises, j'ai quelques points communs avec elles, on m'en fera souvent la réflexion par la suite.
Les contrôles sont plus pointilleux avec les cars de touristes. Là, le policier jette un coup d'oeil sévère sur les passagers et retourne vers sa guérite sans insister.
Je reprends mon souffle : j'ai eu tellement peur que j'ai l'impression d'avoir oublié de respirer !
Mais l'inquiètude ne me quitte par pour autant : comment vais-je m'en sortir avec ces contrôles tous ces contrôles ?
Une autre angoisse m'étreint : pourquoi mon passeport ne m'a pas été rendu ? Et si ces gens, si hostensiblement serviables à mon agard, n'étaient qu'une petite bande organisée cherchant à voler des passeports étrangers ? C'est donc pour ça que les jeunes étaient si aimables avec moi ? Le pull gentiment posé sur mes épaules, le repas au restaurant, le taxi, l'hôtel trouvé comme par hasard alors qu'il n'y avait soi-disant plus de place dans tous ceux que mon Routard avaient suggérés ?
Le pire, dans tout ça, c'est que je n'ai personne à qui expliquer mon problème.
Comment ai-je pu aussi imprudemment confier mon passeport à des inconnus ? Il fallait bien que je sois droguée de fatigue pour en arriver là ! ET ILS EN ONT PROFITE !
C'est pour cette raison qu'ils ont attendu que je sois abruttie par le manque de sommeil, déjà assoupie, pour me réveiller et réclamer mes papiers.
Cette fois-ci, je ne suis même plus capable d'aprécier le magnifique circuit que nous sommes en train de parcourir :Les lacs vert émeraude, Les rivières qui scintillent au soleil comme des milliers de diamants, les larges plaines entourées de montagnes blanches, les troupeaux de yacks sombres dans les paturages fleuris, les pélerins multicolores qui marchent et prient en s'allongeant sur l'asphalte. Toutes ces beautés défilent sous mes yeux embués de larmes contenues, sans que j'arrive à oublier la cause de mon anxiété.
Notre car s'arrête dans un grand centre du Boudhisme tibétain. Je profite de cette visite pour m'approcher de la maman d' Aï Lin avec mon petit dictionnaire Franco-Chinois et je lui montre le mot "passeport" inscrit dans sa langue. Elle me regarde d'un air consterné et s'exclame : "Oh ! Aï Lin !". Rien de plus. Elle retourne vers son mari et je ne sais même pas si elle lui en parle.
Nous rejoignons notre bus. Je retrouve mon Chinois boudeur. Je suis légèrement rassurée d'avoir partagé mon souci. J'espère qu'ils sauront prendre ma défense si j'ai des problèmes avec les contrôles mais je n'en suis pas sûre : les Chnois sont tellement craintifs devant les représentants de l'Etat qu'ils seraient bien capables de me laisser tomber.
Voyager deux jours sur 800 km sans papiers dans un pays totalitaire truffé de "check-points" il faut le faire !...
A SUIVRE...