Le soleil a disparu : nous entrons lentement mais sûrement dans le sombre couloir de la nuit...
Dans une heure nous serons à Lhassa.
Encore une fois, je ne souhaite pas quitter la chaude intimité de notre wagon. Je savais que j'arriverai en pleine nuit : pas le choix. Mon Routard me conseille le Yak Hostel, le nom me plaît et c'est le moins cher. Pourvu qu'il y ait de la place ! sinon mon taxi va encore en profiter.
Je ne sais plus comment j'ai posé la question à Aï Lin, toujours est-il que son père a immédiatement appelé le Yak hotel pour m'apprendre qu'ils étaient complets. Je leur montre mon bouquin, apparemment ils appellent tous les hôtels bon marché, Résultat : Zéro ! Ling !
Eux non plus n'ont pas l'air de savoir où dormir. La jeune Aï Lin et toute la bande ont décidé de me prendre sous leur aile. Malgré ma nature hyper indépendante, je laisse faire avec un certain soulagement.
Nous quittons le train pour débarquer dans un immense hall, ou plutôt un hangar en béton. pas de murs, pas de vitrines, pas d'éclairage ou à peine, la froideur de l'accueil est impressionnante.
Pas de néons, le néant . L'obscurité. Tout pour me donner l'envie de remonter dans mon train "pas-si-inconfortable-que-ça-après-tout".
Les voyageurs s'éparpillent. J'ai perdu la trace de mes compagnons.
Les taxis disparaissent un à un. II faut que j'y aille avant de me retrouver seule dans cette froideur nocturne.
Soudain, quelqu'un me fait de grands signes plus loin en revenant sur ses pas : c'est Li Tao, puis Aï Lin qui m'expliquent tant bien que mal qu'ils ont trouvé taxi et hôtel.
Nous nous entassons dans une sorte de monospace, serrés comme des sardines, les Chinois n'étant pas avares de bagages , je l'ai déjà dit. Rires et plaisanteries auxquelles je ne comprends rien. Dans cette tribu, personne ne parle un mot d'Anglais à part un petit prétentieux qui le baragouine et que je n'aime pas trop : je l'appellerai "Négué" car je n'ai jamais compris son nom et il me saôulait avec ses "négué négué " incompréhensibles.
Ah...je deviens négative : je ne dois plus trop avoir le moral... Nous traversons le centre-ville pour nous égarer dans la périphérie et terminer devant un petit hôtel dont je ne connaîtrai jamais le nom inscrit en gros signes Chinois, même pas en Tibétain.
Je me douche et m'apprête à rejoindre le dortoir, que je vais partager avec Aï Lin et sa maman, quand les jeunes me proposent avec insistance de venir avec eux au resto. Je ne sais pas ce qui m'arrive, peut-être parceque je les aime bien et que j'éprouve une certaine gratitude, malgré ma fatigue, j'accepte.
Là, je ne me reconnais pas ! moi qui tombais de sommeil !
L'expérience en vallait la peine ! je fais mes premiers pas avec les baguettes. Li Tao, celui qui dans le train m'avait couverte avec son pull, est toujours aussi gentil, et veille à ce qu'il ne manque rien dans mon assiette. Chacun s'efforce de m'aider à tenir correctement ces fichues baguettes ! Ils sont souriants, ils ont de l'humour mais ne sont pas moqueurs. J'avais toujours eu un faible pour les Asiatiques, je crois que ça va continuer.
La "faim" justifiant les moyens, je ne m'en sors pas trop mal avec mes bouts de bois et j'aprécie les nombreux petits plats qui nous sont servis.
Avant de quitter la table, "Négué", qui a pris le rôle du chef, m'adresse la parole et je crois comprendre que nous n'allions pas rester dans cet hôtel. Il faut dire que mon "Fran-glais" et son "Chin'glais" ne s'entendent pas du tout. J'ai beaucoup de difficultés à comprendre un Chinois qui parle Anglais et vice-versa. J'ai par la suite été réconfortée quand un véritable Anglophone m'a dit qu'il avait les mêmes problèmes...
Sur ce, nous nous séparons pour aller dormir : je m'effondre sur mon lit.
A peine entrée dans mon premier sommeil, on me secoue l'épaule, c'est Négué.
Et ça repart ! Je comprends quelques mots : "impossible...autre chose...8 heures de route...2 jours..." Qu'est-ce-que c'est que cette histoire ? Je dors à moitié. La maman d'Aï Lin me fait signe qu'il faut dire OUI. Je lui fait confiance. Je dis YES. Elle est contente. Alors tout va bien. Fichez-moi la paix. Je m'enfouis sous mes couvertures ...
Mais non !!! ce n'est pas fini !!! On me secoue à nouveau. C'est encore ce Négué de malheur ! Il me baragouine par écrit - car je comprends de moins en moins - qu'il me faut confier mon passeport à Aï Lin pour l'enregistrement.
Dans ma p'tite tête nébuleuse je ne trouve pas ça anormal puis que les hôteliers chinois comme les Russes enregistrent toujours les passeports. Je refile mon passeport. On me dit qu'il me faudra être prête le lendemain pour 7 h 30. YES YES YES ! Par pitié, laissez-moi dormir !
Ce fameux lendemain, on me réveille, on me bouscule, vite, vite... ça a beau être du Chinois, je comprends. On me dit de laisser une partie de mes bagages, je refuse net : puisqu'on change d'hôtel je ne vais pas laisser mes affaires, non ? Je n'ai pas assez dormi après ces 48 h de train et la 3ème nuit escamotée... Tout est embrouillé dans ma tête. Un vrai zombi.
Les parents d'Aï Lin, toujours aussi gentils et patients, m'embarquent dans un taxi qui nous laisse au pied d'un bus. Ah bon ? et, au fait, où sont les jeunes ? Je ne vois toujours que les vieux parents qui m'accompagnent. Notre bus est stationné devant un étrange édifice au pied duquel des gens se prosternent, complêtement à l'horizontale. J'apprendrai plus tard qu'il s'agissait du Potola.
ET C'EST LA QUE VONT COMMENCER MES VERITABLES
MESAVENTURES...