Je sais que l'Inde est follement aimée par beaucoup d'Occidentaux. J'ai en plus été élevée dans une famille profondément croyante qui m'a enseigné, avant toute chose, la tolérance et l'amour.
Mais...Comment faire abstraction de tout ce qui me révulse ou me fait mal ?
Comment rester indifférent devant ces petits groupes de femmes et d'enfants dormant sur les tas de sable des chantiers en cours, afin de trouver quelque confort ? cuisinant à même le sol ? les petits enfants à moitié nus faisant leurs besoins sur le trottoir en tenant d'une main leurs guenilles et réclamant la charité de l'autre main ?
Comment supporter l'indescriptible saleté qui accompagne la misère ?
Les jours de grosses pluies, avoir de l'eau jusqu'à mi-jambes et sentir déambuler entre vos chevilles les immondices et les excréments qui se mettent en mouvement sur l'onde comme s'ils prenaient vie ; semblant vous poursuivre lorsque vous créez du remou en voulant accélérer le pas pour échapper à leur contact...
Comment oublier ces nuisances sonores, volontaires, qui agressent les tympans ?
Ces mélangent écoeurants et douceâtres d'odeurs de cuisine, d'excréments, de pourritures qui s'attachent à vos narines et imprègent vos vêtements ?
Ces harcèlements de rabatteurs, de mendiants, qui ne peuvent pas vous approcher sans vous toucher, au point d'en avoir l'épiderme hérissé ?
Et cette nourriture archi-épicée qui vous arrache le palais et vous brûle jusqu'aux entrailles ?
Je me suis laissée tentée, un jour, par une jolie tranche d'ananas, bien fraîche...eh bien, elle m'a mis le feu à la bouche, elle aussi ! Une autre fois, je m'arrête dans un petit resto de rue où j'avais vu une assiette de riz bien blanc, bien fade (tout plutôt que ces épices indiennes !) J'en demande une part que l'on m'a servie avec plusieurs bols de sauces variées. Je ne m'avise pas de toucher à la sauce rouge, persuadée qu'elle sera piquante. je pointe ma cuillère dans la sauce verte qui semble être une sauce aux herbes. Ah oui ? Ces petites herbes vertes étaient aussi piquantes que le piment ! La 3e sauce est blanche, ressemble à du yaourt et m'a l'air inoffensive. Je m'en sers une cuillère : au secours ! ça brûle autant que le reste !
Mais comment font-ils ? qu'ont-ils pu mettre d'invisible qui soit aussi "puissamment fort" ?
Avec une pareille nourriture au quotidien, le corps doit être complètement purifié de ses bactéries, c'est certain !
Et je pense savoir aussi pourquoi les Indiens supportent si facilement les odeurs nauséabondes de leurs ruelles : à force de manger aussi épicé ils ont perdu l'odorat !
J'en perds l'appétit. La seule pensée de manger me révulse. Je n'ai jamais aussi bien compris la détresse des anorexiques. Ma raison me dit qu'il FAUT manger mais mon organisme refuse. Même croquer dans une pomme et la mâcher consciencieusement me demande un immense effort de volonté.
Qui aurait cru un truc pareil ? Cette situation commence à me faire peur : je ne voudrais pas, en plus de cette "bronchite chronique" épuisante, perdre les forces que j'ai encore.
Que faire ? Je n'ai jamais bu autant de Coca de ma vie : cette boisson, fortement sucrée et caféïnée semble me nourrir et me rendre un peu de mon énergie.
Il me reste15 jours avant de prendre l'avion qui me libérera de ce pays pourri pour m'emmener vers Hong-Kong
Cette sensation de lassitude et de déprime est tout à fait contre ma nature : il me faut réagir.
( Et là, j'étais loin d'imaginer ce qui allait arriver dans les mois à venir...)
Le Kerala ! Les backawaters dont parlent tant les brochûres touristiques...Voilà ce qu'il me faut !
Je vais fuir - une fois de plus - quitter cette ville immonde pour visiter le kerala, tout à l'Ouest, où la vie est plus douce, paraît-il.
Le soir-même, mes affaires sont emballées et je grimpe dans un car vétuste où je vais passer une nuit entière.
Une quarantaine de personnes dans ce bus. Rien que des hommes.
De toutes façons, ici, seuls les hommes ont l'air d'avoir le droit de se promerner. A deux, la main dans la main, ou en hordes, dans les parcs, où ils vous tournent autour et vous harcèlent jusqu'à ce que, excédée, vous réagissiez énergiquement pour les chasser comme on chasse des pigeons.
Dans la plupart des pays pauvres, une image typique se fixera dans ma mémoire : les hommes traînant leurs savattes ou jouant aux cartes, les femmes frottant leur linge ou leur vaisselle sur le trottoir ou au bord d'une rivière.
Mes souvenirs sont-ils objectifs ?
Avant de démarrer, le "copilote" du bus court acheter quelques fleurs qu'il accroche au rétroviseur intérieur.
Porte-bonheur ? Plutôt "kitch" mais amusant...
Donc, dans ce car, rien que des hommes qui vont finir par perdre la vue à me regarder de leurs gros yeux sombres et cernés. Aucun ne m'adressera la parole. Par contre, entre eux, ils sont très bavards.
La langue indienne (le tamoul, je crois ?) n'est pas agréable à entendre. On ne distingue que des "bla-da bla-da bla-da" bruyants et monotones. Je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué puisqu'un jour, un petit Allemand à regardé ses parents avec étonnement en murmurant : "bla-da bla-da bla-da". J'ai bien compris le message et j'ai eu du mal à contenir un fou-rire !
Après une nuit cahotique, nous voici arrivés à Kochi ( Cochin, ancienne colonie française, comme Madras et Pondichéry ). Mon hôtel "petits budgets" est correct. Je viens de voir qu'ils font des petits-déjeuners occidentaux : je vais peut-être retrouver l'appétit.
A SUIVRE...