Le train s'ébranle...Je n'ai pas eu le temps de chercher mon wagon. Comment peut-on être aussi écervelée à mon âge ? Après 10 heures d'attente et de rêveries ! Cette étourderie maladive me colle à la peau depuis mon plus jeune âge : ça promet pour le reste de mon périple ! avec en plus : mon légendaire sens d'orientation "inversé"... vais-je retrouver ma maison un jour ? Ouais...La Terre est ronde et je vais toujours vers l'Est : ça devrait aller...
De couloirs en couloirs, de soufflets en soufflets, j'arrive enfin devant mon compartiment déjà occupé par 3 voyageurs qui semblent s'étonner de voir cette petite dame débarquer 30 minutes après le signal du départ. Je dépose mon sac sur la couchette supérieure qui m'est réservée et j'y grimpe à mon tour. En un tour de main, mon "nid" est prêt et confortable. J'ai même pu installer mon "coin cuisine" dans la soute à bagages au même niveau que ma couchette. Je vois défiler le paysage en restant à demi-allongée. J'aprécie d'être en haut : on est bien plus tranquille : pas de danger de retrouver un visiteur assis à notre place au moment où l'on souhaite s'allonger : c'est ce qui se passe pour le Mongolien de la couchette du dessous : comme les 2 autres occupants sont un jeune couple de Suédois faisant partie d'un groupe, les copains viennent discutter et ne se gènent pas pour s'installer sur le lit de ce pauvre homme qui n'ose pas s'imposer.
Voilà une douzaine d'heures que je suis dans ce train mythique - pas mythique du tout ! - Mon convoi est chinois, pas russe, . Il n'y pas de 3e classe : pas de "platzkortny", sorte de wagon "cour des miracles" avec de jeunes enfants assis sur leurs petits pots , comme on me l'avait décrit. J'aurais bien voulu vivre ça !
Nous avons traversé l'Oural et nous voici au milieu de l'immense Sibérie couverte de de sapins, ou de bouleaux d'un blanc laiteux au feuillage coloré par les premières lueurs de l'automne.
C'est terminé pour l'Europe : nous sommes en Asie. Les paysages ne changent pas beaucoup mais je ne m'ennuie pas . J'ai toujours aimé prendre le train, même pour aller travailler. J' y ressents une impression de voyage encore plus intense qu'avec l'avion où toutes les émotions sont estompées par l'ambiance feutrée de la plupart des aéroports et la surveillance quasi permanente.
Le train, c'est la liberté, l'agitation, les familles nombreuses, les colonies de vacances... Et la puissante locomotive pour laquelle on éprouverait presque de la sympathie tant elle semble courageuse de bien vouloir nous tirer heures après heures...et là : jours après jours. Selon le carburant, elle souffle, elle crache, ou tout simplement elle tire, mais elle y va !
J'arrête un instant mes rêveries pour vérifier un horaire sur mon billet de train. Je fouille dans ma saccoche ventrale : rien ! Où ai-je mis ce fichu billet ? Je fouille, je gratte, le coeur commence à palpiter : j'ai tellement couru pour attrapper, ce train, que , dans l'affolement, je l'ai peut-être perdu. Ou alors, le contrôleur a oublié de me le rendre. Comment le lui demander ? il ne parle pas un mot d'Anglais, comme beaucoup de Chinois, et il est plutôt intimidant. Comment vais-je pouvoir entrer en Mongolie, puis en Chine, où tout est contrôlé dans les moindres détails, sans mon précieux billet ?
Quite à paraître ridicule, j'en parle à mes voisins suédois qui me répondent avec un léger sourire que notre chef de wagon a conservé tous les billets. Ouf !
On a toujours des galères au cours d'un grand voyage, nous en avions eu 3 en 3 mois avec mon fils Andric, en Amérique du Sud. ( pour moi : un assez grave empoisonnement avec une pomme sauvage aus Iles Galapagos, plus une agression à Lima, et pour nous deux : l'équivalent de 100 euros en fausse monnaie péruvienne ! ) J'espère bien ne pas vivre la même proportion d'ennuis pendant ce très long périple en solo !
A Irkoutsk, je m'autorise une petite descente pour effectuer quelques achats alimentaires. J'ai toujours peur d'oublier mon train ou d'avoir mal compris la durée de l'arrêt.
Il n'y a qu'un seul horaire en Russie : l'heure de Moscou, malgré la traversée de 8 fuseaux horaires ! Quand nous arrivons aux abords du Lac Baïkal, à midi ,le soleil rase l'horizon ! Nous contournons pendant environ 200 kms ce grandiose et mystérieux lac , le plus profond du monde : 1637 m .Nous apercevons des montagnes eneigées dépassant les 3000m. Les paysages ont bien changé.
Voici la frontière mongole : Naouchki ,où les formalités douanières sont plutôt longues mais ne sont rien à côté de ce qui nous attend à la frontière chinoise !
Nous voici en Mongolie. J'aurais pu la contourner en faisant le trajet classique par la Mandchourie, ce qui m'aurait évité des frais de visas mais je tenais absolument à traverser ce fameux Désert de Gobi et je n'ai pas regretté mon argent ! Qu'il est beau notre train fumant, quand il fait une courbe inexplicable dans ce désert uniformément plat et doré !
La petite Mongolie est rapidement traversée, coincée entre ses deux énormes voisins. C'est à la tombée de la nuit que nous arrivons au poste-frontière de Zamyn-Uüd en Mongolie pour rejoindre un peu plus tard le poste chinois : Erlian. Alors là, c'est une autre affaire ! En plus des formalités douanières pour les passagers, notre train va subir une véritable intervention chirurgicale qui durera 5 heures : le changement des boggies,(à cause de la taille des voie chinoises). Chaque wagon est soulevé par une grue et lourdement reposé sur les nouveaux boggies. Ce fut une nuit mémorable : les gémissements métalliques, les grincements, les chocs entre wagons, les douaniers communistes au regard inquisiteur qui nous donnaient un lourd sentiment de culpabilité, les toilettes vérouillées pendant toute l'opération et ma terrible envie d'y aller pour couronner le tout !
Quand tout fut rentré dans l'ordre : nos passeports de nouveau entre nos mains, les officiers disparus et notre train reparti : étrange réaction après le stress : à 3 h du mat', tout le monde s'est installé pour un nouveau casse-croûte !
A SUIVRE...